Mais pourquoi les joueurs de football sont-ils si chers ?

« Avant de travailler à l’école, travaille ton drible mon fils ». Cela pourrait être un nouveau crédo d’éducation au vu des sommes astronomiques en vigueur sur le marché des transferts : 94 millions d’euros pour Cristiano Ronaldo, 90 millions pour Gonzalo Higuain et maintenant 120 millions d’euros pour Paul Pogba, la star montante du football mondial. Des chiffres qui donnent le tournis voire la nausée surtout dans une période de contraction économique difficile pour beaucoup. Mais quels mécanismes se cachent derrière ces sommes, et à quel point sont-elles corrélées avec les enjeux sportifs de ces clubs de football ?

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1995 : développement d’un football sans aucune frontière ni physique ni économique

Après plusieurs semaines de rumeurs, la nouvelle vient de tomber, Paul Pogba jeune talent français de 23 ans évoluant à Turin vient d’être transféré pour la somme de 120 millions d’euros au club anglais de Manchester United. Un montant équivalent à 9 années de budget pour le Havre Athletic Club, son club formateur.



Pour expliquer de telles folies, il faut à nouveau se tourner vers la théorie économique. Quelles sont les composantes du prix d’un transfert d’un joueur ? Outre l’apport sportif et le potentiel de victoires qu’il peut apporter, il y a bien évidemment l’aspect marketing lié à cette superstar. Un joueur d’un tel calibre va assurer à son club des ventes de maillots et de produits dérivés qui seront indéniables. Il va également à lui tout seul remplir des stades, attirant de nouveaux supporters curieux de voir quelles merveilles footballistiques un joueur de ce prix est capable de réaliser sur un terrain.

Néanmoins, l’explosion des montants des transferts dans le football trouve son point d’origine dans une décision juridique, bénie de tous les agents de joueur : l’arrêt Bosman. En 1995, le joueur du FC Liège Jean-Marc Bosman attaque son club qui lui refuse son transfert vers le club de Dunkerque. Il porte l’affaire devant la CJCE en contestant 2 points fondamentaux :

  1. la possibilité pour un club de réclamer une indemnité de transfert pour un joueur ayant fini son contrat
  2. les quotas limitant à 3 le nombre de joueurs étrangers ressortissant de l’Union Européenne dans une équipe de club.

La CJCE donna raison à Bosman, considérant que les règlements de l’UEFA sur les quotas liés à la nationalité sont contraires à la libre circulation des travailleurs entre les états membres du traité de Rome.

Pour aller plus loin, lire : « Quels sont les accords qui contribuent à la mondialisation des transferts ? »

S’en suivront de nombreuses décisions de tribunaux nationaux instaurant les mêmes principes suivant les nationalités des joueurs. En 2011, cette jurisprudence est applicable à tous les pays européens, et concerne les ressortissants des états membres de l’espace économique européen, de Suisse, de Russie et des 79 pays signataires de l’accord de Cotonou.

Le football n’ayant plus de frontières, le business a rapidement pu se développer, et faire exploser les montants des transferts.

Que dit la théorie économique ?

Pour Jérémie Bastien, docteur en économie du sport à l’université de Reims et spécialiste de la question, l’économie liée aux joueurs de football, trouve sa source dans deux théories complémentaires : la course à l’armement (Sanderson – 2002), et la théorie du Holp up (Godechot – 2006).

La compétition sportive entre clubs de football d’un même championnat et au niveau européen, les pousse à une course à l’armement, où chacun vise à recruter ce qu’ils croient être les meilleurs joueurs, en début de saison pour améliorer leurs résultats face aux autres équipes, qui n’ont pas d’autres choix que de surenchérir pour améliorer elles-mêmes leur propre potentiel. C’est l’exemple du Real Madrid et du FC Barcelone, qui achètent tour à tour Gareth Bale et Neymar Jr. pour assoir leur supériorité sportive sur leur rivale.

Dans le cas de cette course à l’armement, nous sommes loin d’un équilibre de Pareto, chaque club d’un même championnat ayant le même comportement, mais des moyens différents. Les recrutements additionnels sont donc socialement inefficaces car le mimétisme entraîné par un recrutement d’un club ne fait qu’augmenter une demande déjà excédentaire en termes de talents. Au final il n’y a que quelques vainqueurs (promus champions, qualifiés pour la coupe d’Europe) dans cette course à l’armement, alors que la hausse des coûts généralisée s’applique à tous les clubs.

Du fait que le nombre de talents n’est pas infini, les clubs tâtonnent donc sur les prix. Un équilibre Walrasien où le commissaire-priseur aurait une tendance inflationniste excessive et infinie. Dans ce contexte, les clubs tentent de réaliser des Hold-ups en ravissant ces pépites à leurs concurrents. Cette théorie tient sur deux pieds :

  1. la spécificité d’un joueur, i.e. sa capacité à se rendre indispensable pour son club, ce qui fait mécaniquement monter sa côte. C’est le cas, par exemple, de l’attaquant Gonzalo Higuain qui a marqué 36 buts sur l’exercice 2015-2016, et qui a donc poussé son club de Naples à demander 90 millions pour son transfert ;
  2. si la Juventus de Turin, son nouveau club, a consenti à offrir cette somme, c’est parce qu’il a parié sur la transférabilité de cet actif, c’est-à-dire la capacité du joueur à reproduire à l’identique cette performance dans son nouveau club.

Le marché des transferts est également totalement libéré par le fait que les clubs ont des contraintes budgétaires lâches, c’est-à-dire pouvant être négatives. Le montant de la dette des 5 clubs les plus endettés en Europe (à savoir le FC Valence, Manchester United, le FC Barcelone, le Real Madrid et Chelsea) culmine à 3,3 milliards d’euros, soit le PIB de l’Erythrée. Il n’y a donc aucun frein pour les plus gros clubs à l’achat de nouveaux talents, pour preuve, même le « fair-play financier » instauré par l’UEFA est aussitôt tombé aux oubliettes, car il entravait le développement marketing des acteurs les plus importants du monde du football.

Une aubaine marketing

Outre les transferts, les salaires eux aussi connaissent une inflation intéressante pour les joueurs. Ceux étant en fin de contrats plus particulièrement. Un joueur superstar libre de tout contrat aura 2 choix s’offrant à lui : rester dans son club actuel et être augmenté, ou quitter son club et être augmenté. Il y a pire dilemme pour un joueur. Dans ce cas, pour le club, le problème est plutôt simple : si la perte de ce joueur est supérieure à son nouveau salaire, il est conservé, sinon il est libéré.

C’est notamment le choix qu’a fait le PSG cet été en laissant filer gratuitement son joueur vedette Zlatan Ibrahimovic, un joueur dont le salaire annuel émargeait à 16 millions d’euros. Un investissement nécessaire lors de son arrivée en 2013, le PSG devant attirer un grand nom du football pour exister sur le plan médiatique, et qui lui a permis de passer un cap en termes de notoriété. L’investissement ayant été rentabilisé, le PSG fait aujourd’hui partie des « grands d’Europe », le joueur a été libéré, notamment car son rendement sportif en ligue des champions était insuffisant au regard des ambitions du club de la capitale.

Néanmoins, Zlatan a bien rebondi, et vient de signer un contrat annuel de 13,5 millions d’euros (soit 1 millénaire de SMIC). Pas mal pour un joueur en 34 ans, certes encore performant, mais en fin de carrière. L’explication de cette somme folle réside dans le pouvoir de négociation du joueur, qui était libre de signer où il voulait, ce qui a mécaniquement fait monter les enchères autour de sa rémunération annuelle. Mais aussi dans la concurrence que son nouveau club a dû affronter de la part du club anglais de Tottenham, de la Major League Soccer aux Etats Unis et du nouveau marché émergent du football : la Super League Chinoise.

A lire : « Et si la notoriété digitale d’un joueur avait un impact sur sa carrière sportive ? »

Manchester United est coutumier du fait. Outre Paul Pogba aujourd’hui, on se souvient encore du transfert surprise dans les dernières minutes du mercato d’août 2015 du jeune Anthony Martial pour 50 millions € + 30 millions. Une somme astronomique pour un joueur de 20 ans qui ne comptait alors que 52 matchs en L1 pour 11 buts. Mais ce transfert a permis au club mancunien de revenir sur la scène médiatique. En envoyant un message fort à travers ce transfert, il a également pu occulter des résultats sportifs en dents de scie lors de ces dernières années. Et surtout vendre des maillots. Beaucoup de maillots. 2,85millions en 2015-2016, selon Totalsportak, soit une hausse de 40% par rapport à la saison précédente. Surprise, Anthony Martial figure en première place de la vente de maillot du club, et sur le podium mondial. Corrélation ne vaut pas causalité, mais on peut dire ici que ce transfert fut in fine une très belle opération commerciale.

Et le sportif dans tout cela ?

L’exemple de Manchester United est un cas intéressant. Malgré les 200 millions d’euros dépensés l’été dernier, ils n’ont pu faire mieux qu’une 5ème place en Barclays Premier League. Les dépenses faramineuses n’ont jamais fait gagner un championnat, en témoigne les exemples de catastrophes industrielles de ces dernières années des espagnols de Malaga ou des russes de l’Anzhi Makachkala. Rappelons aussi que le Real Madrid version galactique restera le plus cher et le plus beau 11 de l’histoire du foot, mais n’a remporté qu’une seule ligue des champions, et 2 championnats en 6 ans.

Les contres exemples fleurissent aussi. Cette année, par exemple, le club de Leicester a décroché le titre de champion d’Angleterre avec une équipe dont le recrutement global avait alors coûté 30 millions d’euros. Nous sommes très loin des sommes investies par les autres clubs. Un résultat sportif qui va se mettre au service du financier pour Leicester, car après ce titre de champion la cotation de ses joueurs a explosé. Pour exemple, la vente de son milieu de terrain N’golo Kanté lui a rapporté 35 millions d’euros et a donc remboursé intégralement son investissement initial.

Dans la même veine, en 2012 sous la première année du règne des Qataris au PSG, Montpellier finit champion de France à la surprise générale, avec une équipe composée d’aucune superstar du football.

Des prix à relativiser

Les prix de ces transferts sont aujourd’hui à relativiser. Premièrement parce que les contrats signés par les joueurs sont de plus en plus longs. Le contrat de 5 ans signé par Paul Pogba permet un amortissement de son prix à hauteur de 24 millions d’euros par an, une bagatelle pour un joueur annoncé comme une superstar du football qui va vendre une grande quantité de produits dérivés dans les années à venir, et peut-être même apporter une plus-value sportive à son club.

Deuxièmement, car les comparaisons inter-temporelles nous permettent de voir que les prix des transferts n’ont pas tellement changé en quelques années. On nous rabâche que c’était plus sain avant, mais le transfert de Zidane de la Juventus vers le Real en 2001 pour 73 millions d’euros correspond aujourd’hui à 92 millions d’euros. Les proportions restent les mêmes, corrigées de l’inflation.

Troisièmement, si les sommes sont astronomiques, elles circulent dans un circuit fermé, les clubs échangeant entre eux, réinvestissant des recettes juteuses dans un autre transfert important, qui lui aussi sera réinvesti, et ainsi de suite. C’est un peu comme lorsque vous jouez au Monopoly, vous pouvez être milliardaire grâce à vos hôtels rue de la Paix, mais vous êtes obligés de réinvestir votre argent auprès des autres joueurs pour ne pas terminer prématurément la partie.

Et enfin quatrièmement il faut les relativiser par rapport aux budgets des clubs. Ces derniers sont en constante augmentation, grâce notamment à l’ouverture du capital des clubs en bourse, ou encore par l’explosion des droits liés à la diffusion des matchs (les clubs du championnat anglais vont se partager 7 milliards d’euros de droits de diffusion sur la période 2016 – 2019). Selon une étude relayée sur Reddit, le transfert le plus coûteux de l’histoire, rapporté au budget du club acheteur, est celui de Zinedine Zidane en 2001 (54% du budget du Real Madrid). Vient ensuite celui de Carlos Tevez en 2009 vers Manchester City (52% du budget annuel), puis celui d’Herman Crespo en 2000 (45% du budget de la Lazio de Rome). Dans ce classement le transfert de Pogba n’apparaitrait qu’à la 17ème place (23% du budget annuel de Manchester United).

En conclusion

Au final, un prix de transfert d’un joueur correspond au coût d’opportunité liée à son non utilisation par le club vendeur, additionnée aux espérances du club acheteur que le joueur soit tout aussi performant qu’il l’était avant.

A cela s’ajoute l’âge du joueur. Plus le joueur sera jeune, plus il sera encensé, plus le club aura l’impression de tenir ici un futur Zidane, Platini ou Kopa (choisissez votre époque) et donc plus le club payera un prix élevé pour le voir réaliser ses prouesses tant attendues sous ses couleurs.

Une dernière variable peut être ajoutée pour expliquer le prix d’un joueur : l’environnement concurrentiel du club. Si votre voisin achète une nouvelle tondeuse, vous en achèterez une plus belle et plus chère. S’il s’achète une nouvelle berline, vous commanderez un nouveau 4×4. Peu importe vos besoins, il faut que vous paraissiez mieux armé et plus dépensier plus que vos voisins / concurrents. Sur le marché des transferts aussi, il existe un championnat qu’il faut absolument remporter, celui de la notoriété.

En football, on peut donc le dire, l’argent ne fait pas le bonheur sportif, mais il permet aux clubs évoluant dans un environnement concurrentiel où le sportif et l’extra sportif sont aussi importants, d’assoir leur suprématie marketing, commerciale et de booster leurs notoriétés.

Pour aller plus loin, lire : « « Coût…franc » , un livre pour comprendre le programme de SES avec l’exemple du football »

Passionné de sport en général et de football en particulier, je suis étudiant en Master 2 analyses des politiques économiques européennes à l'Université de Strasbourg. Je suis actuellement chargé de mission dans un think Tank économique.

2 réponses
  1. Patrick
    Patrick dit :

    Je me posais souvent cette question, et grâce à toi, c’est désormais plus clair. Merci pour cet article très détaillé. Savais-tu qu’il existait une énorme différence entre le salaire d’un joueur de handball pro et celui d’un footballeur de haut niveau ?

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  2. Antoine
    Antoine dit :

    Le prix des joueurs de foot est souvent une notion difficile à avaler et sur tout pour les gens qui n’aiment pas forcément cette discipline. De ce fait cet article est vraiment instructif. Je trouve toujours les hommes qui leur sont alloués déraisonnable compte tenu des inégalités sociales que l’on trouve notamment en France, mais ça apporte quelques précisions.

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