Le quota de joueurs « formé localement » : un label AOC du joueur ?
Devenu un critère majeur pour les clubs qualifiés en coupe d’Europe, le nombre de joueurs « formés localement » est régulièrement au coeur des attentions. A partir de quand considère-t-on qu’un joueur a été formé localement ? A quoi sert exactement ce règlement ? Est-il un outil de régulation du marché des transferts ? Peut-il être activé par des fédérations pour tenter de redresser la compétitivité d’une équipe nationale ? Décryptage.
Depuis l’arrêt Bosman, un club européen peut embaucher sans contrainte n’importe quel joueur des 30 pays membres de l’Espace Economique Européen (EEE). Comme nous l’avons déjà vu, cela a permis aux meilleurs joueurs européens d’aller là où la rémunération et la possibilité de remporter des titres étaient meilleures ; ayant pour conséquence de délaisser des championnats moins rémunérateurs ou prestigieux, si leur niveau le leur permettait. Par ailleurs, la libéralisation a permis aux « perdants » (les joueurs les moins performants du Big 5) de pouvoir conserver des chances de gagner des titres dans des championnats secondaires plutôt que de devoir se résoudre à jouer en division inférieure.
Ainsi, la libéralisation a polarisé la concentration des talents. Cela a créé une situation dans laquelle il est possible que les meilleures compétitions européennes (i.e. Big-5) voient leurs talents locaux surclassés par la crème du football mondial. Le cas pour les joueurs britanniques qui ont quasiment disparu des effectifs de Premier League au profit d’internationaux est le plus évident. Dans le même temps, les championnats secondaires (Scandinavie et Europe de l’est) se voient menacés par l’arrivée de talents aux origines multiples :
- ceux issus de nations du top 10 en terme de formation, délaissés et à la recherche de titres, comme c’est le cas pour de nombreux joueurs français, portugais, ou brésiliens ;
- ceux issus de nations moins exposées, attirés par des meilleures rémunérations, illustré par l’augmentation du nombre de joueurs d’Afrique de l’Ouest dans de nombreux championnat d’Europe de l’Est.
Cela soulève ainsi deux questions majeures :
- Que devient le rapport entre compétitivité d’un championnat et équipe nationale ?
- Que devient le rapport entre clubs internationalisés et public majoritairement local ?
Le label « formé localement » est la solution choisie par l’UEFA et la fédération de football anglaise (comme beaucoup d’autres fédérations européennes) pour répondre à ces questions.
La philosophie et les règles de l’UEFA concernant la formation locale
L’UEFA impose aux équipes d’enregistrer un maximum de 25 joueurs avant le début de ses compétitions (Ligue des Champions et Europa League) en septembre puis à la reprise en février. C’est ce qu’on appelle la liste A, celle où les meilleurs joueurs des équipes qualifié vont être inscrits.
Depuis 2006, parmi ces 25 joueurs, les équipes doivent enregistrer au moins deux gardiens de but, ainsi que quatre joueurs « formés localement » et quatre autres « formés au pays ». Pour être considéré comme « formé localement », un joueur doit avoir passé un minimum de trois saisons au club entre les âges de 15 et 21 ans. De la même manière pour être considéré comme « formé au pays » un joueur doit avoir passé trois saisons dans la même fédération (i.e. pays). La nationalité du joueur ne joue pas pour remplir ce critère.
Ainsi, il est possible qu’un joueur arrivé à 18 ans en Angleterre puisse être considéré comme formé localement ou au pays s’il y a joué jusqu’à ses 21 ans. Si une équipe venait à ne pas avoir suffisamment de joueurs « formés localement ou au pays », elle verrait la taille maximum de sa liste A réduite d’autant, comme ce fut le cas cette année avec Manchester City.
Les clubs ont également à leur disposition une liste B modifiable à tout moment. Sur cette liste peuvent être inscrit n’importe quel joueur de moins de 21 ans ayant passé au moins 2 saisons au club. Aucune autre réglementation ne s’impose à cette liste, à part la nécessité pour le joueur se trouvant sur la feuille de match d’avoir été inscrit au plus tard sur la liste B la veille du match.
La philosophie de l’UEFA repose sur deux idées :
- Chaque “grand club” est identifié par le public en fonction de son pays d’origine (i.e. Manchester United est anglais, le Real Madrid est espagnol). Cette identification est facilitée par le fait que la majorité de leurs joueurs sont également originaire de ce pays. Dans le cas contraire, l’UEFA craint qu’un système à l’américaine, où des franchises emploient les meilleurs joueurs sans considération sentimentale, rebute le public à suivre la compétition.
- Les clubs les plus fortunés – participant généralement aux compétitions européennes – ont un devoir de solidarité envers les autres clubs moins riches. Ils remplissent ce devoir en formant des joueurs, sur leurs deniers, même si la plupart d’entre eux n’auront pas leurs place dans l’équipe senior du club (mais peut-être dans un autre club de moindre standing). Ainsi, les grands clubs pérennisent le football professionnel dans leurs ligues respectives et fournissent aux sélections nationales des joueurs de bonne qualité dès les sélections espoirs.
Ainsi, le raisonnement est double pour l’UEFA. Le procédé permet d’un côté de rassurer le public, de ne pas le bousculer dans ses habitudes et sa perception traditionnelle du football. C’est donc un argument marketing. D’autre part, il permet d’assurer la mission première de l’UEFA : la promotion du football en Europe, qu’il soit professionnel ou amateur, en club ou bien en sélection nationale.
La philosophie et les règles de la fédération Anglaise concernant la formation locale
Pour contourner les réglementations bannissant la discrimination envers les joueurs provenant de l’Union Européenne et des pays signataires des accords de Cotonou, un certain nombre de fédérations, dont l’Angleterre, ont mis en place des règles comparables à celles s’imposant aux équipes participant aux compétitions de l’UEFA. Comme dans le cas de cette dernière, l’objectif est la promotion du football, mais ici au niveau domestique, pour assurer la pérennité du football professionnel et le succès de la sélection nationale.
Ce type de politique de la part des fédérations nationales a deux objectifs distincts :
- Faire perdurer l’attachement du public local à travers des joueurs formés au pays ou dans le centre de formation du club même. Cela rejoint l’argument « marketing » de l’UEFA, qui veut que la public soit attaché à l’identité des clubs.
- Permettre aux joueurs du pays d’avoir du temps de jeu et donc d’atteindre leur plein potentiel plus rapidement pour contribuer aux performances de la sélection nationale. Comme dans le cas de l’UEFA, les clubs professionnels ont donc une responsabilité envers l’ensemble du football domestique. Un principe de solidarité en somme.
Cette politique, au-delà d’un certain seuil, s’apparente à un protectionnisme pré-Bosman. L’objectif est clair : limiter l’entrée de joueurs étrangers qui pourrait menacer l’emploi de joueurs du “cru” national. Ce protectionnisme est surtout présent en Scandinavie, où le niveau de salaire est plutôt élevé alors que le niveau du championnat n’est pas forcément très réputé.
Dans le cas de l’Angleterre, la mesure est une tentative qui vise à réconcilier l’attractivité du championnat professionnel avec les sorties décevantes de la sélection nationale. Les clubs de Premier League doivent ainsi enregistrer au moins huit joueurs de plus de 21 ans ayant été formés en Angleterre ou Pays de Galles.
Pour être considéré comme « formé au pays », un joueur doit avoir passé au moins trois saisons en Angleterre entre les âges de 15 et 21 ans. Les joueurs n’ont pas besoin d’être ressortissants britanniques pour être considéré comme tel. Par exemple, le français Francis Coquelin arrivé en 2008 à Arsenal à l’âge de 17 ans est considéré comme “formé au pays” selon le règlement FA. De plus, les joueurs de moins de 21 ans n’ont pas de besoin d’être enregistrés s’ils ont passé deux ans en Angleterre.
Néanmoins, il est théoriquement improbable qu’un non-britannique se voit qualifié comme “formé au pays”, puisque le transfert de joueur mineur est interdit par les règlements FIFA, à quelques exécutions près. Introduit en 2010 en Premier League suite à la disparition progressive des joueurs anglais des feuilles de match, la mesure n’a cependant produit que des effets limités sur le nombre de joueurs anglais en Premier League.
Notons que d’autres itérations de cette règle peuvent imposer d’inscrire des joueurs « formés localement » sur la feuille de match (voire dans le onze de départ) comme cela est le cas en Suède ou au Danemark.
Pour quels résultats ?
Il est difficile de juger des conséquences directes de ces mesures. L’équipe d’Angleterre est-elle meilleure qu’avant ? Les grands clubs forment-ils plus de joueurs ? Quoi qu’il en soit, comme le souligne Pierre Rondeau, c’est aux joueurs locaux de se mettre à niveau du championnat pour occuper les meilleures places : vouloir substituer un bon joueur étranger par un joueur local moyen est une erreur dans une perspective de long terme.
Dans le même temps, nous pouvons supposer que ces mesures participent à la pression sur le marché des transferts de jeunes talents, avec les malversations et les questions d’ordre éthique qu’ils supposent, comme l’a mis en lumière la condamnation du FC Barcelone. D’une façon prospective, il est ainsi difficile d’anticiper l’impact de telles mesures dans un environnement de plus en plus compétitif. Ajoutons à cela que toute forme de régulation de la part d’une fédération est difficile à instaurer, tant elle risque d’être perçue par ses clubs professionnels comme un handicap supplémentaire par rapport à la concurrence étrangère.
- Rédaction : Thibaut NARME
- Conseil éditorial : Bryan CODER
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